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Petits billets culturels

5 avril 2024

Noein : un ''Sliders'' à la sauce nippone ? (2005)

**Cette chronique fut publiée pour la première fois le 28 avril 2021 sur le forum Animeland**

Parmi les séries phare de la 2e moitié des années 2000, il existe un trio qui pendant longtemps resta désespérément absent du marché francophone. Il s’agit des séries :

– Denno Coïl
– Noein
– Seirei no Moribito

Depuis, Denno Coïl a enfin pu sortir en vidéo chez Dybex, 14 ans après sa diffusion japonaise, mais les 2 autres restent cruellement inédites. Heureusement, il existe toujours la possibilité de l’import !

C’est ce que j’ai fait et me voilà à parler de Noein, diffusé en 2005 au Japon et réalisé aux studios Satelight. Noein semble suivre l’héritage de la série américaine Sliders (que je ne connais que de nom, c’est un ami qui a fait le lien) : il s’agit d’une histoire de SF centrée sur les mondes parallèles et les distorsions spatio-temporelles et appuyant son intrigue sur les bases de la physique quantique. Si forcément, les prouesses de ces déplacements entre différentes dimensions donnent un côté surnaturel à la série, cette base scientifique leur donne aussi un ton crédible. Mais qu’en est-il de l’histoire ?

Haruka, 12 ans, est une jeune fille qui termine l’école primaire dans une petite ville du Japon. Elle mène une existence banale, entre ses meilleur(e)s ami(e)s Yû, Ai, Miho et Isami, les cours et la maison familiale qu’elle occupe depuis le divorce de ses parents. Voilà qu’un jour, de la ”neige bleue” commence à tomber sur la ville et d’étranges personnages, revêtus d’amples manteaux noirs (un peu comme dans Fantastic Children au fond), sont repérés par les enfants. Ces individus semblent tout droit venir d’un autre monde ou tout du moins d’une autre dimension, qu’ils traversent à l’aide d’une sorte de câble appelé ”pipeline”. Tous ont pour objectif de mettre la main sur Haruka, désignée comme ”Le Torque du Dragon”, et de la ramener dans leur monde, Lacryma. Haruka serait en effet capable de traverser les différentes dimensions grâce à ce torque (qui n’apparaît que lorsqu’elle se sent en danger) et de modifier le cours des événements. Mais l’un d’eux, Karasu, finit par les trahir pour protéger la jeune fille à laquelle il semble beaucoup tenir. Haruka découvre alors que Lacryma n’est pas le seul monde parallèle cherchant à la récupérer : d’autres intrus, cette fois sous formes de silhouettes ou de vaisseaux mécanisés grotesques, ont pour objectif de la capturer et la ramener dans leur monde : Shangri-La…

Noein – All the Anime

L’intrigue de départ n’est pas très originale ; on retrouve un certain nombre d’éléments déjà entrevus dans d’autres histoires : la jeune fille élue, les mondes parallèles, le futur postapocalyptique, le personnage masculin chargé de protéger l’héroïne… Cependant, si la base est plutôt classique, son déroulement amène pas mal de bonnes surprises et de rebondissements. La série prend le temps de nous expliquer le fonctionnement de cette traversée des dimensions, leur impact sur l’existence des protagonistes ou le futur et même les conséquences sur le corps humain. De plus, comme expliqué dans un paragraphe précédent, l’apport de la physique quantique pour expliquer ce fonctionnement amène une certaine vraisemblance au récit tout en jouant sur un aspect plus surnaturel.

La série regroupe pas mal de personnages hauts en couleur (chacun ayant une personnalité bien définie), mais l’intrigue tourne essentiellement autour du trio Haruka – Karasu – Yû. Si Haruka est une jeune fille ordinaire bien que détentrice d’un grand pouvoir, Yû est un garçon de son âge introverti et déprimé depuis que sa mère l’oblige à réussir ses examens pour intégrer un collège prestigieux à Tokyo. Il tentera bien de se rebeller à plusieurs reprises, mais son jeune âge et le manque de moyens freineront forcément ses fugues. Karasu quant à lui est l’antithèse de Yû : d’une dizaine d’années plus âgé, plus expérimenté, plus mûr, ce jeune homme est décidé à protéger Haruka tant qu’il en aura la force. Il s’oppose d’ailleurs violemment au jeune Yû, qu’il accuse d’être faible, geignard et incapable de protéger Haruka, alors que Yû semble pourtant beaucoup l’aimer. Cette mésentente finit même par se transformer en jalousie chez Yû, frustré de voir Haruka en si bonne entente avec un garçon de dix ans plus âgé qu’elle : une situation d’autant plus ubuesque puisqu’on apprendra la véritable identité de Karasu. Un rebondissement qui donne beaucoup de sens à ses motivations, mais j'estime préférable de vous en laisser la surprise !

Ce trio que tout semble opposer devient assez vite attachant après quelques épisodes et même si la relation trouble entre Karasu (qui a la vingtaine) et Haruka (qui en a 12) peut forcément déranger - et quand bien même ces rapports sont (en partie) justifiables par la véritable identité de Karasu - les scénaristes ont eu l'intelligence de ne jamais se permettre  le moindre écart. 

En dépit de certains éléments classiques, Noein propose une histoire riche et complexe mêlant science-fiction et mythologie, cumulant les références culturelles tant littéraires qu’axées sur la pop-culture (Shangri-La, les objets mécanisés qui ressemblent à certaines sculptures hindoues, Lacryma qui évoque le début de la série Uchû Senkan Yamato…); il y en a tant qu’il n’est pas impossible que certaines références m’aient échappée. Si au départ on a l’impression d’avoir une intrigue manichéenne, on se rend compte à la fin que les mauvaises actions ont surtout pour origine un mal-être personnel qui n’a pu être résolu, ce qui fait de Noein une série finalement très psychologique.

La réalisation est d’excellente facture et n’a pas trop mal vieilli pour une production diffusée en 2005. Les effets 3D notamment sont assez discrets en général et s’intègrent bien à l’image (hormis certains travelling sur la maison d’Haruka et le dragon mécanique) et le chara-design de Takahiro Kishida apporte une touche très originale, bien loin des design stéréotypés que l’on retrouve souvent en animation japonaise. Certaines séquences animées sont proches d’un storyboard tant ils accentuent le côté ”brut” du dessin et donnent ainsi une certaine griffe artistique aux scènes de combat. Un petit regret (mais peut-être est-ce volontaire) concernant quelques séquences surexploitées par les animateurs (les travelling sur la maison d’Haruka, le gros plan sur son œil ou encore l’apparition du torque), alors que le reste de l’animation est de qualité.

Malgré quelques points perfectibles, Noein mérite bien son statut d’incontournable des années 2000 et je vous encourage vivement à vous tourner vers l’import pour la découvrir (car si la série est inédite en français, elle fut par contre éditée aux USA et en Italie).

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29 janvier 2024

Magic Knight Rayearth Saison 2 - C'est toujours Sailor Moon à la sauce Clamp mais en plus sombre

Après une première saison aux impressions partagées entre ambiance enfantine et drame final, mais dans l'ensemble très fidèle au manga, voici un retour sur la deuxième. Celle-ci débuta sa diffusion japonaise tout de suite après la fin de la saison 1, en mars 1995. Elle saura pourtant se démarquer bien vite.

 

La saison 2 reprend là où l’on s’était arrêté à l’épisode 20. Souvenez-vous : après un combat dantesque contre Zagato, les Magic Knight Hikaru, Umi et Fuu avaient découvert que la réalité n'était pas si simple et partagée entre gentille Princesse Émeraude et méchant grand prêtre Zagato. Finalement, elles avaient été ramenées dans leur monde pendant qu'Emeraude (désormais adulte) partait rejoindre Zagato dans une sorte d'au-delà, désormais libérée de son statut de ''pilier''. 

 

Nous voilà donc quelques temps après le retour des adolescentes dans leurs familles respectives. L’anime ne précise pas le temps qui s’est écoulé depuis leur premier voyage à Cephiro, contrairement au manga qui nous informe que nous nous trouvons un an après les faits. Depuis leur retour, les trois jeunes filles sont, bien entendu, très bonnes amies et se retrouvent souvent à la Tour de Tokyo, mais leur moral n’est plus le même. En particulier l’énergique et positive Hikaru qui va désormais mal, très mal même. Elle fait depuis quelques temps d’étranges et angoissants cauchemars où apparaît une silhouette sombre, sinistre et menaçante de femme, mais également celle d’un personnage plus jeune qui lui ressemble étrangement… Alors qu’Hikaru retrouve ses deux amies à la Tour, elles se font appeler par une force mystérieuse et se retrouvent brusquement à Cephiro. Le monde féerique et magique, privé de pilier, est désormais une terre de désolation, ravagée par les tempêtes et la formation de crevasses qui détruisent peu à peu sa structure. Attristées par cette situation, Hikaru, Umi et Fuu retrouvent tout de même le sourire en rencontrant les anciens alliés de leur première mission (dont le mage Clef), mais aussi d’anciens adversaires désormais prêts à sauver Cephiro (comme Ascot, qui depuis son combat avec les Magic Knights s’est remis en question). À la surprise de tous, trois vaisseaux spatiaux font alors leur apparition, chacun ayant l’objectif de devenir le prochain pilier.

Les Magic Knight reprennent donc du service

1. Eagle Vision, jeune homme atteint d’une grave maladie (la maladie-type de la fiction, à savoir la tuberculose), mais prêt à tout pour atteindre ses objectifs. 

Il est accompagne de Zazu et Geo, deux mécaniciens qui l’assistent dans son projet.


2. Aska, une jeune princesse excentrique et capricieuse, issue d’un monde influencé par la Chine traditionnelle. Elle est accompagnée d'un jeune garçon timide qui en pince pour elle et d'un vieux sage qui n'est jamais écouté.


3. Tata et Tatra enfin, des sœurs de sang royal aux caractères complètement différents (l’une réservée, sage et naïve, l’autre colérique et garçon manqué). Elles sont issues d’un monde influencé par un Moyen-Orient folklorique.

À côté de ces ambitieux, ont trouve également deux nouveaux personnages : Primera, une fée minuscule, sorte de pré-Stéphanie hystérique, collante et jalouse pour un rien

Dans le genre ''chieuse'', elle en impose !

et surtout Lantis, un jeune homme qui s’avère être le petit frère de Zagato.

Le petit frère survivant. Seule différence : il a les cheveux courts

À la suite d'une discussion avec son aîné, durant laquelle il avait compris que Zagato aimait quelqu'un qu'il ne pourrait jamais avoir, Lantis est longtemps reste absent de Cephiro et a noué une amitié avec Eagle. Il n'est donc revenu qu'après les évènements de l'épisode 20 et forcément, sa présence fait planer l'ombre de son grand frère. Hikaru sera très vite troublée par Lantis. D'abord par culpabilité vis-à-vis de Zagato bien entendu, mais aussi parce qu’à l’instar de son frère, Lantis est assez joli garçon. Et à l'adolescence, les sentiments commencent à bouillonner !

Magic Knight Rayearth - CLAMP - Image #14840 - Zerochan Anime Image Board

J’avais décrit la saison 1 de Rayearth comme une série qui se cherchait durant une quinzaine d’épisodes, baignait essentiellement dans un humour enfantin à base de Super Deformed et qui finalement nous a proposé 3 épisodes finaux excellents. Dans l’ensemble, la partie 1 était assez fidèle au manga, peut-être même trop tant le réalisateur ne cherchait pas à apporter une patte plus personnelle ou à creuser certains points. Et si certains épisodes rallongeaient l’histoire initiale, le résultat n’apportait pas grand-chose à l’univers de Rayearth, il ne s’agissait que de légères modifications. De plus, l’anime n’avait pas pris en compte le caractère ambigu de Zagato, qualifié dans la version TV comme le boss de fin sournois, machiavélique et ambitieux ; une situation assez proche de ce qui avait été fait sur Saga durant le Sanctuaire lorsqu’il est en Grand Pope. Ce manque d’audace semble avoir déplu à Clamp, le collectif ayant décidé de s’investir davantage dans la saison 2.

La saison 2 reprend la trame de base des tomes 4 à 6, mais en proposant deux ajouts principaux (validés par les Clamp) : tout d’abord l’adversaire majeure de la saison, Debonair, une figure sinistre et angoissante qui hante le monde de Cephiro, mais qui est surtout là pour symboliser le chaos.

Magic Knight Rayearth: Debonair | Magic knight rayearth, Knight, Debonair

et surtout Nova, une sorte de double d’Hikaru qui s’opposera à elle durant toute cette saison 2. Nova est un personnage extrêmement intéressant : là où Hikaru est une jeune fille certes tête brûlée, mais également fidèle, gentille et serviable, Nova est excentrique, violente et égoïste. De plus, elle s’amuse des sentiments troubles d’Hikaru pour Lantis, ses doutes, ses peurs et bien d’autres émotions qui perturbent le cœur de la jeune fille, s’adressant à elle de la sorte : ”Hikaru ! Viens donc jouer avec moi ! Je t’aime, Hikaru ! C’est pourquoi ce sera moi qui te tuerai !!”. On découvrira à la fin qu’en réalité, outre ses confrontations douloureuses avec Nova, Hikaru développe des sentiments partagés pour Lantis, ce jeune homme solitaire et qui semble imperturbable, mais qui se montrera finalement gentil et attentionné. Ses souvenirs seront d’ailleurs l’occasion de découvrir son passé et surtout la véritable personnalité de Zagato, avant qu’il ne commence à détester le système du pilier.

Nova : l'idée brillante de la saison 2

Hikaru s’est certes excusée vis-à-vis de Lantis et ce dernier lui a répondu qu’elle n’avait rien à se reprocher et qu’il ne lui en voulait pas. Toutefois, Hikaru est encore marquée par les évènements de la première partie et reste une jeune fille de quinze ans. Nova jouera beaucoup sur cette relation compliquée pour mieux manipuler Hikaru. Déjà par rapport à Lantis, qui passe même pour le ''prince'' que toute la gente féminine voudrait s'accaparer. Plusieurs personnages dans cette saison cherchent ainsi à le courtiser : à commencer par Alcyone, une sorcière anciennement complice de Zagato qui a désormais rejoint le côté obscure (au passage, ce personnage n'apparaissait pas dans les tomes 4 à 6 du manga, sa réapparition est donc à nouveau un changement bienvenu dans l'adaptation animée). Mais c'est finalement autour du duo Hikaru/Nova que l'avenir sentimental du jeune homme va se resserrer. Je ne vais d'ailleurs pas m'attarder sur Primea, son obsession pour Lantis frisant avec l'érotomanie. 

Hikaru est encore intimidée et ne sait pas trop comment se comporter avec lui. Elle est jeune, inexpérimentée, en pleine découverte de l'amour et ses émotions ont subi un bouleversement profond après leur première aventure sur Cephiro. Nova est tout son contraire : davantage entreprenante, voire même usant de stratégies proches de la séduction. Cette opposition entraîne ainsi une sorte de triangle amoureux à la fois tragique et effrayant. De l'autre côté, les rapports entre Nova et Hikaru deviennent de plus en plus ambigus au fil de la série, flirtant pratiquement avec le yuri tant elles paraissent complémentaires l'une de l'autre. La fameuse réplique de Nova évoquée plus haut accentue par ailleurs cette impression.

 

L’ambiance est forcément beaucoup plus sombre voire apocalyptique durant certains épisodes. Entre la destruction progressive de Cephiro, l'urgence de la situation, la recherche d'un nouveau pilier devant se sacrifier pour le bien du pays et les déchirements de coeur d'Hikaru, le scénario n'a plus grand-chose à voir avec la bucolique et optimiste première saison. Toutefois, l’humour typique des Clamp n’a pas non plus disparu, exprimé notamment au travers de personnages hauts en couleur comme les sœurs Tata/Tatra (qui invoquent des Djinns grotesques pour combattre !). On pourrait aussi citer Aska ou Primea, mais leurs excentricités ne plairont pas forcement à tous tant les éclats de rire de la fillette et les crises de jalousie de la fée sont particulièrement envahissants. Néanmoins, là où Primea reste un personnage énervant (et assez inutile) jusqu’à la fin, Aska, sous ses airs de petite princesse pourri gâtée, évoluera dans une direction plus positive et deviendra même un personnage plutôt attachant. Enfin on notera que si dans la saison 1, la fin était plus que dramatique et laissait un goût amer au spectateur et aux héroïnes, ici le final est plus optimiste. Sans trop dévoiler, disons que l’effort des Magic Knights saura proposer un avenir plus radieux pour elles et pour les habitants de Cephiro.

Cette saison 2 corrige ainsi beaucoup de défauts de la première et permet au spectateur de mieux comprendre le fonctionnement de l’univers de Cephiro et le rôle du pilier. C’est l’occasion de découvrir d’autres pays voisins, très différents l’un de l’autre – par exemple Autozam, le monde d’Eagle, est entièrement mécanisé, un peu à la manière de La Metal dans les séries de Leiji Matsumoto, alors que Fahren, le monde d’Aska, est basé sur la Chine ancienne. Enfin, l’histoire aborde des thèmes finalement pas si puérils : la peur, la fin du monde, l’obsession du pouvoir, le remord… En raison de sa rivalité avec Nova, de son rôle potentiel pour l’avenir de Cephiro et de ses regrets, Hikaru est aussi davantage au centre de l’intrigue, là où dans la première saison elle tournait autour des trois amies. Néanmoins, ni Umi ni Fuu ne sont négligées ou oubliées ; elles sauront chacune de leur côté trouver une stratégie ou compter sur leurs compétences pour se sortir d’une situation délicate et ramener la paix parmi les différents adversaires. Enfin, on remarquera une belle amélioration dans l’animation et les dessins, beaucoup plus jolis que dans la première partie, ainsi que de superbes génériques. Seul regret, les musiques de fond sont plutôt anecdotiques. Comme je l’ai expliqué au début, cette saison 2 prend beaucoup de libertés avec le manga, mais parvient à créer un intérêt grâce à sa propre direction de l’histoire. Ainsi, elle ne devient pas un doublon au manga ou une adaptation inutile, mais un complément avec sa propre identité. Je ne peux que vous recommander de découvrir Rayearth : si les débuts sont vraiment laborieux en animation, la série se bonifie avec le temps et garde une fraîcheur très années 90. À noter que le doublage japonais est absolument excellent et que l’on retrouve plusieurs voix connues de cette décennie.

Voici par ailleurs les génériques de début de cette saison, toujours très dynamiques :

https://www.youtube.com/watch?v=MrewS2_-kAc

https://www.youtube.com/watch?v=4B9Y52OSKPs

29 janvier 2024

Magic Knight Rayearth Saison 1 - Sailor Moon à la sauce Clamp

**Cette chronique a été publiée pour le première fois publiée le 23 mars 2021 sur le forum Animeland**

Hikaru, Umi et Fuu : une bande de joyeuses drilles

Un anime dont je n’attendais pas grand-chose, mais qui au final s’est avéré bien sympathique. En France du moins, le quatuor Clamp est essentiellement connu pour X, Tokyo Babylon, Card Captor Sakura et plus récemment XXX Holic, Tsubasa Reservoir Chronicles ou Chobits. Leur carrière est donc très vaste et ponctuée à la fois de titres devenus au fil des années des classiques de la BD japonaise, mais également d'oeuvres plus commerciales qui ont marché sans atteindre la réputation de leurs aînées. Rayearth fait plutôt partie de la seconde catégorie, l’anime étant arrivé très tardivement et uniquement en DVD chez IDP en 2005, soit 10 ans après la diffusion de la série. Le manga a certes été proposé dès 1996 chez Manga Player puis Pika, mais dans une mauvaise édition aux planches retournées, mal traduit… Pika le rééditera finalement entre 2020 et 2021 dans une édition revue et corrigée, cette fois dans le sens japonais ! Au dessin, nous retrouvons Mokona, la dessinatrice principale du quator connue pour avoir également signé la partie graphique de RG Veda, X et Tokyo Babylon (notamment). Visuellement, nous sommes donc en terrain connu et le résultat est agréable à l'oeil. 

Pas de doute, c'est Mokona qui assure la partie graphique !

Rayearth est donc un manga au départ, prépublié dans le magazine pour fillettes et jeunes filles Nakayoshi, où fut également proposé Card Captor Sakura. Ici, pas de sous-entendus yaoi, pas de côté apocalyptique poussé à l’extrême… le ton se veut plus soft et forcément plus accessible à un public entre 8 et 14 ans. Les héroïnes sont d’ailleurs un peu plus jeunes que les précédents protagonistes de Clamp. L’anime quant à lui, diffusé à partir de 1994 au Japon, est réalisé au studio TMS Entertainment et divisé en 2 parties : la première adapte les tomes 1 à 3 et la seconde les tomes 4 à 6. Au vu des grandes différences entre chaque partie, et comme il s'agit bien de deux séries différentes en animation, je trouve plus intéressant de respecter cette caractéristique. Ainsi, cette chronique parlera uniquement de la saison 1 et une seconde s'attardera sur la saison 2.

Rayearth se passe dans un univers d’heroic-fantasy type Isekai des années 90, dans lequel trois jeunes filles ordinaires, Hikaru (tête brûlée, mais courageuse et fidèle à ses amies), Umi (prétentieuse et colérique, mais déterminée) et Fuu (plus timide, mais douce et sérieuse), vont être appelées à délivrer la princesse Émeraude, retenue prisonnière par le ”méchant” grand-prêtre Zagato. Dans ce monde appelé Cephiro, sa stabilité dépend des prières du ”pilier”, une personne choisie pour garantir à elle-seule l’équilibre, la paix et la joie au sein de la population. Mais depuis son enlèvement, Cephiro est à l’agonie et menace de s’effondrer si Émeraude n’est pas retrouvée rapidement. Les trois jeunes filles, qui pourtant ne se connaissaient pas, ont été appelées par Émeraude en personne pour devenir les ”Magic Knights de la légende” et sauver ainsi ce monde de l’extinction. Malgré leur incompréhension et leur inexpérience, elles vont devoir accepter cette mission pour revenir à Tokyo, réveiller les Rune God (des sortes de robots géants) et apprendre à développer des pouvoirs dont elles ignoraient l’existence.

Voilà ce qu’il en est du scénario de la partie 1. On retrouve pas mal de poncifs du genre bien entendu (ainsi que des personnages-type : le mage chargé d’enseigner aux héroïnes, le jeune guerrier errant, la sorcière sexy…) et l’histoire suit un schéma assez classique, parsemé de rencontres diverses, de combats entre les héroïnes et l’un des sbires de Zagato, de recherches de matériau / objet sacré pour forger les armes du futur combat final… Mais les Clamp s’amusent beaucoup avec ces clichés, soit en apportant quelques changements (le mage Clef a un âge avancé, mais l’apparence d’un enfant), soit en usant de l’humour qu’on leur connaît bien (les oreilles de chat, les SD/Chibi, les personnages qui ont des noms de marques de voitures…). En parlant d’humour d’ailleurs, si dans le manga les Clamp savent tout de même se modérer pour éviter de dédramatiser trop souvent l’intrigue, l’anime abusera durant une partie des épisodes de ces fameux SD/Chibi. C’est particulièrement flagrant entre les épisodes 1 à 15, où le ton se veut encore plus humoristique et malheureusement, les scénettes qui étaient amusantes en manga ne le sont plus vraiment dans l’anime. Fort heureusement, le staff finit par comprendre que l’histoire prend désormais une tournure plus dramatique et lâchent cet humour bon enfant pour des épisodes 16 à 20 sans excentricité. Cette partie est à mon sens la plus réussie de la saison 1.

Watch Magic Knight Rayearth (English Dub) S1:E2 - Presea, the Master Smith in the Forest of Silence online free - Crackle

Là les héroïnes sont ''normales''

Retrocrush: Magic Knight Rayearth (English Dubbed)

Ici en mode ''chibi''

 

Concernant les héroïnes, elles sont chacune attachantes à leur manière et leur collaboration fonctionne très bien. De manière intéressante, les Clamp opposent ces trois jeunes adolescentes âgées de 14 ans, à peine sorties de l’enfance, à des personnages féminins physiquement plus mûres et vivant une relation bien moins chaste avec les hommes. Hikaru, Fuu et Umi n’en sont pas encore là bien évidemment, mais les Clamp suggèrent que cette période ne tardera pas d’ici quelques années. Là où Card Captor Sakura évoquait peu la question des relations amoureuses – en dehors du duo Thomas/Mathieu – ici l’amour a une place bien plus importante. Et pour revenir sur ce thème de manière approfondie, je vais devoir parler de la fin de la saison 1.

Attention SPOILS pour ceux qui veulent garder la surprise !!

Le grand-prêtre Zagato, un air de Grand-Pope Saga qui n’est peut-être pas si anodin…

 

 

À partir de l’épisode 18, les Magic Knights sont donc enfin face à Zagato, le grand-prêtre qui, sournoisement, kidnappa et enferma Émeraude, causant ainsi le désastre qui secoue Cephiro. Du moins est-ce la thèse retenue par les héroïnes. Zagato est l’ennemi à abattre, une sorte de Grand-Pope (période Sanctuaire) resté dans son antre depuis le début et qui consent enfin à se montrer maintenant que tous ses sbires ont échoué. C’est de sa faute si Cephiro est menacé par la destruction, de plus il a commis des actes impardonnables en transformant le mage Clef en pierre, mettant ses hommes en danger, contrôlant mentalement l’un de ses plus fidèles alliés… Les Magic Knights sont plus que déterminées à en finir avec lui ! Voilà qu’elles se retrouvent soudain devant un Zagato tout aussi déterminé, mais qui semble cacher quelque chose. À la question d’Hikaru – ”Pourquoi avez-vous emprisonné Émeraude ? À cause de ça, Cephiro va s’effondrer ! Émeraude est bien le pilier qui apporte l’équilibre et la paix à Cephiro, non ?” – Zagato répond de manière inattendue : ”Pourquoi la princesse doit-elle prier pour Cephiro ?”. Hikaru est surprise par cette réponse, mais ne semble pas en tenir compte, sans doute trop prise par la tension du combat. Zagato les attaquera en poursuivant : ”Elle n’a aucune liberté, elle est réduite à une seule chose : prier… pourquoi doit-elle rester enfermée seule dans le rôle du pilier ? Pourquoi doit-elle passer le reste de sa vie à vivre ainsi ?”. Les Magic Knights n’entendront pas ces paroles ou ne les comprendront pas, en tout cas elles ne voient qu’un Zagato belliqueux qui menace de les tuer si elles persistent dans leur mission. Persuadées de vaincre ainsi la source des malheurs de Cephiro et d’Émeraude, les jeunes filles envoient contre Zagato une puissante attaque combinée qui met un terme définitif à sa vie. Mais ce geste, qu’elles pensaient bénéfique pour Émeraude, va au contraire traumatiser la princesse. Sous le coup de l’émotion, Émeraude, qui jusque là avait gardé l’apparence d’une petite fille, grandit subitement et devient une jeune femme d’une grande beauté mais remplie de revanche et de haine à l’encontre des Magic Knights, celles qui ont osé tuer ”son amour”. Car oui, et c’est un véritable choc pour Hikari/Umi/Fuu, Émeraude est amoureuse de Zagato et ce dernier l’aime également en retour. Or, cet amour ne peut être partagé, les pensées et les désirs du pilier devant se concentrer uniquement sur Cephiro. Depuis qu’Émeraude a commencé à désirer davantage Zagato, Cephiro a commencé sa lente agonie… Ce n’est donc pas l’enlèvement d’Émeraude et la trahison de Zagato qui ont provoqué cette situation, mais bien les sentiments d’Émeraude pour le grand-prêtre. Inquiet pour le devenir de la princesse, Zagato a préféré l’enlever et la garder au secret pour la protéger. Et si Émeraude a fait appel aux Magic Knights, ce n’est pas pour qu’elles tuent Zagato, mais pour qu’elles tuent… la princesse, seul moyen de sauver Cephiro. D’abord bouleversées et choquées, refusant de commettre un tel geste, les trois jeunes filles acceptent la mort dans l’âme de respecter le vœu d’Émeraude : rejoindre Zagato, afin qu’elle ne puisse penser qu’à lui et être à ses côtés éternellement. Avant de mourir, Émeraude renverra les adolescentes là d’où elles étaient venues, à Tokyo.

Emeraude et Zagato version manga.

**Des rumeurs circulant parmi les fans ont supposé que le duo Zagato/Émeraude pourrait être une allusion à un ship très controversé de Saint Seiya autour de Saga/Saori.**

 

Cette ultime partie de la saison 1 tranche littéralement avec les premiers épisodes; l’humour des débuts a complètement disparu, le décor est plus inquiétant et les combats également plus violents (le sang est beaucoup plus montré que lors des premiers épisodes). Lorsque le trio arrive pour la première fois à Cephiro, elles faisaient face à un paysage idyllique aux couleurs chatoyantes, peuplé de créatures étranges et loufoques (à ce titre, Mokona est un incontournable de la série dans ce registre), et où les gens semblaient heureux. À partir de l’épisode 16, Cephiro n’est plus qu’un paysage de roches et de déserts, envahi par les tempêtes, les éclairs et un ciel obscurci. Si au départ le staff se perdait dans l’humour enfantin, on appréciera qu’ils aient au moins adapté l’ambiance de la série lors de ce tournant dramatique.

Une illustration promotionnelle : un moyen de rassurer les fans sur le destin des amants ?

Si j’avais une remarque particulière à faire à la série, outre l’humour enfantin envahissant, ce serait en particulier le rythme des épisodes par rapport au manga. En effet, à l’épisode 4, je me suis rendue compte que la série avait déjà adapté 1 tome 1/2 du manga, alors qu’il restait également 1 tome 1/2 à adapter sur… 16 épisodes restants. Autant le dire franchement : il y a énormément de rajouts dans cette première partie, pas forcément des plus intéressants (en particulier lors de la balade en forêt) et seuls deux développements sortent du lot : celui de Ferio l’épéiste, qui apparaît bien plus dans l’anime, et Ascot, l’un des fidèles de Zagato, qui a droit à plus de combats face aux héroïnes. Ce n’était pas forcément le rajout le plus intéressant, mais les combats sont bien menés et on ne ressent pas d’ennui. Seuls les épisodes finaux respecteront largement plus le manga; devant le manque de fidélité d’ailleurs, Clamp s’investira davantage sur la saison 2.

Magic Knight Rayearth est une série sympathique, un peu hésitante sur 10 premiers épisodes (entre hommage et parodie du RPG pour finalement devenir plus sérieuse), pas trop mal réalisée pour son époque et dotée de génériques très entraînants. À l’instar de Sakura, le public cible reste très jeune et il ne faut pas s'attendre à des thématiques poussées. La part belle est faite à l'humour bon enfant et à l'héroïsme de ces jeunes adolescentes. Mais elle se laisse bien regarder grâce à ses personnages attachants, ses couleurs vives et son mélange de magical girl/mecha assez original.

Je vous invite d’ailleurs à retrouver le fameux générique de début via ce lien, il est très chouette, coloré et met directement dans l’ambiance. Il a même eu droit à une version italienne pour une sortie vidéo chez Dynit !

[자막M/V] 마법기사 레이어스 1기 OP - 양보할 수 없는 소원(Full Ver.) (youtube.com)

27 janvier 2024

Poco's udon world : un petit rayon de soleil

En novembre 2020, j'avais publié sur le forum Animeland un petit texte consacré à une série animée découverte durant une période de quarantaine due au Covid. Alors confinée à la maison, j’ai occupé ces journées dans la découverte de séries achetées depuis un certain temps mais restées dans leur emballage. ''Poco Udon's World'', d’après le manga de Nodoka Shinomura, fut la première sur laquelle j'ai écrit un retour. Plus de trois ans après, ce texte se retrouve désormais sur ''Petits billets culturels''.

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Poco est un petit tanuki (chien viverrin japonais) visiblement millénaire, capable comme dans les légendes de prendre forme humaine pour s’immiscer à l’intérieur des maisons. Son plat préféré ? Les nouilles udon à la farine de froment. Or, le fils du meilleur fabricant de nouilles udon de la région, Sôta Tawara, un jeune web-designer célibataire travaillant à Tôkyo, vient juste de revenir dans sa petite ville natale pour vendre la maison et le restaurant familial suite au décès de son père. Désintéressé depuis des années par les nouilles et sa ville de campagne, Sôta découvre dans une marmite à nouilles la présence de Poco sous les traits d’un enfants de 2-3 ans. D’abord effrayé, Sôta s’attache peu à peu à Poco et le considère comme son propre fils. Mais comment mener une vie ”ordinaire” avec un petit être qui doit tout apprendre sans attirer l’attention de son entourage ?

Comment ne pas craquer devant tant de mignonnitude ?

Poco's Udon World entre facilement dans la catégorie des séries type ''Adulte masculin paumé obligé de s'occuper d'un jeune enfant''. Un genre qui a déjà vu fleurir un certain nombre de titres dans les rayons manga en Francophonie, à commencer par le plus connu, Un drôle de père (Yumi Unita, 2005-2011), mais également Père et Fils (Mi Tagawa, 2014) ou encore Papa Told Me (Nanase Haruno, 1988). Plus récemment, Le Renard et le petit Tanuki (tiens tiens), à nouveau de Mi Tagawa, est venu s'ajouter à la liste; même si les protagonistes sont des créatures mythologiques, ils ont la possibilité de se métamorphoser en humains et se mêlent alors à la population. Bref, avec Poco, nous sommes en terrain connu. De plus, en découvrant la relation qui se noue entre Sotâ et le petit tanuki, on pense très vite à une autre série ensoleillée : Barakamon, dont le manga est disponible chez Ki-Oon (et que votre administratrice vous recommande CHAUDEMENT). Il est même possible que certains fassent par la suite l'objet d'une chronique personnelle.

Barakamon : ressemblante mais très différente aussi

Père et Fils, vivement conseillé également

Néanmoins, si Poco et Barakamon ont effectivement en commun un duo dynamique composé d’un jeune homme célibataire et d’un très jeune enfant vivant dans une petite ville campagnarde, la ressemblance s’arrête là. Contrairement à un Barakamon dynamique, mettant en avant la joie de vivre, la recherche d’un objectif professionnel et l’entrée dans l’âge adulte, Poco exploite davantage le début de l’âge adulte, notamment autour de la trentaine. Sôta est un jeune homme bien installé, avec un travail, un appartement, mais il reste désespérément célibataire. En rencontrant Poco, il se découvre une fibre paternelle et une volonté de créer une vraie famille, chose dont il se désintéressait auparavant. La série se veut plutôt sérieuse et même au fond assez adulte, en appuyant sur des thématiques réalistes comme l’éducation des enfants, le divorce, le deuil familial, la réussite professionnelle ou le retour à ses origines. En revenant dans sa ville natale, Sôta se rend compte qu’il y a laissé un certain nombre d’anciennes connaissances qui ont chacun fait leur vie, alors que lui n’a pour le moment vécu que pour son travail, au point d’oublier ses souvenirs d’enfance. Ainsi, en découvrant la région de son enfance avec des yeux neufs, il finit ainsi par se remettre en question et imaginer un quotidien différent de celui qu’il menait jusqu’à maintenant à Tôkyo. La série ne cherche pas non plus à favoriser la vie campagnarde à la vie citadine contrairement à ce qu’on pourrait croire, mais plutôt à encourager le spectateur à trouver son cocon, le lieu où il pourra le mieux s’épanouir. Si la série ne dure que 12 épisodes alors que le manga s’est terminé au 12e volume, l’anime propose une fin réussie ne laissant pas le spectateur sur la touche. Une initiative à saluer !

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L’anime met beaucoup l’accent sur la région de Kagawa, là où se déroule l’histoire, au travers d’événements festifs, de lieux culturels (notamment dédiés aux tanukis) et de spécialités culinaires. Les nouilles y ont bien sûr leur importance - décuplée par le métier de la famille de Sotâ et bien entendu la gourmandise du petit Poco. Cette promotion est effectuée à la fin de chaque épisode par une version animée de Jun Kaname, un acteur très populaire ayant grandi dans la région.

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Autre élément original, la présence d’une série animée pour tout-petits, ”Le ciel bleu de Gao Gao”, qui aura une certaine importance au cours de l’histoire et dont on peut voir un mini-épisode à la fin de ceux de ”Poco” ; ces épisodes ont pour particulier de faire allusion aux événements ayant eu lieu dans ceux de ”Poco”.
Techniquement parlant, ”Poco” est une série dans l’ensemble réussie, avec un certain soin au niveau des décors et du choix des couleurs (éclatantes, comme on pouvait s’y attendre pour une série aussi ”ensoleillée”). Le chara-design est plus conventionnel, à l’exception peut-être de Poco qui est vraiment très réussi avec sa frimousse croquignolesque.
Parfait en cas de journée pluvieuse et monotone, Poco peut séduire un large public. Si certains éléments de la culture japonaise sont effectivement présents, ils n’atténuent pas non plus la compréhension de l’histoire, finalement très universelle et accessible au public occidental.

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13 janvier 2024

Tracks ou la personnification du désert (2013)

Nous voici donc sur un nouveau film d'Adam Driver, mais issu cette fois de sa période pré-Star Wars. À l'époque, il tournait essentiellement dans des films indépendants ou très peu connus du grand public. Bref, loin des blockbuster. Pourtant, cette partie de sa carrière regorge de perles que je me dois de vous partager. Je commencerai donc avec ''Tracks'', un texte que j'avais déjà rédigé en octobre dernier pour le forum Animeland et la page Facebook Le Coin cinéphile. 

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Il est beau, grand et souriant : c'est bien lui !

 

Tout commence en 1975. Robyn Davidson (Mia Wasikowska) est une jeune Australienne qui caresse le projet d'entreprendre seule la traversée du désert australien.  Importés au XIXe siècle depuis l'Afrique, ces animaux ont longtemps été utilisés comme moyen de transport ; mais dans les années 70, leur élevage se fait plus rare. Les éleveurs locaux tentent même de dissuader Robyn de se lancer dans une telle aventure et de lui enseigner le dressage des bêtes. Robyn ne lâche pourtant rien. Quelques années plus tard, une fois formée au dressage des dromadaires, elle entame enfin ce périple long de 2’700 km depuis la ville d’Alice Springs jusqu’à l’Océan Indien, uniquement accompagnée par son chien et des dromadaires. De temps à autre interviendra aussi Rick Smolan (Adam Driver), un photographe du National Geographic un brin trop zélé. Pour préparer son voyage, Robyn avait dû se résoudre à accepter un partenariat avec le magazine et donc la présence de Rick qui capturera son expédition en images. Elle racontera plus tard son aventure dans la revue puis dans un livre paru en 1980.

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Tracks c’est avant tout l’histoire d’un défi, d’une aventure solitaire, d’une recherche de soi-même à travers un paysage rude et en apparence inhospitalier. Des années plus tard, Robyn Davidson répondra que cette vision du désert aride et mortel est très masculine, elle ne l’a pas ressenti de la même manière. Selon elle, le désert australien est dangereux à partir du moment où l’on n’est pas assez préparé ni équipé. Son parcours est d’autant plus intéressant – à l’époque – qu’elle l’affronte véritablement seule, juste accompagnée de sa chienne et de ses dromadaires, sans être accompagnée d’un homme. Le photographe Rick Smolan, s’il la suit de temps à autre et lui apporte une certaine assistance vers la fin en déposant des jerrycans d’eau à certains endroits stratégiques, n’est pas non plus son compagnon de route. Le voyage de Robyn en devient ainsi très personnel et on ressent au fil de l’histoire combien celui-ci compte pour elle, y compris son objectif d’aller jusqu’au bout.

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Robyn a également un profond respect pour les populations aborigènes et leur culture, certains Autochtones comme le guide Eddie lui viendront en aide, fascinés par sa volonté de réussir à tout prix son projet. Encore aujourd’hui, le souvenir de cette expédition se perpétue auprès des Autochtones, Robyn étant connue sous le nom de ‘’The Camel Lady’’ (la demoiselle aux dromadaires). La fille d’Eddie, Jean Burke, exposera en 2011 une peinture rendant hommage à l’expédition de Robyn.

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Le livre de Robyn Davidson eut beaucoup de succès à l’époque, notamment auprès d’un public féminin qui apprécia qu’une femme entreprenne ce projet sans suivre un homme ou être sauvée par ce dernier. Pour autant, le film ne cherche pas à jouer sur l’opposition entre un homme et une femme. Une scène durant laquelle Robyn tente de dépecer un animal – son guide autochtone l’interrompt alors pour lui expliquer que c’est interdit aux femmes – y fait bien allusion, mais le réalisateur cherche plutôt à respecter les mœurs de la population aborigène. Et si Rick tente bien de persuader Robyn de renoncer à son projet, il finit par lui faire confiance et accepte son choix. 

 

Rick n'a par ailleurs pas vraiment le beau rôle au départ ; sa présence empêche vraiment Robyn d'entreprendre son voyage tel qu'elle le voulait, loin de la civilisation, en pleine Nature, donc sans autre participation humaine. Son côté quasi obsessionnel pour la photographie - en plus d'être engagé par National Geographic pour couvrir le reportage - n'arrange en rien leurs relations, au point que Robyn l'envoie balader à plusieurs reprises, épuisée par ses interventions excessives. 

Chauffeur de bus, apprenti Sith, photographe : il sait TOUT jouer

 

Rick sait tout de même aussi montrer son côté humain

 

Mais aussi obsessionnel qu'il soit pour la photographie, Rick n'est pas non plus buté et finit par accepter les choix de Robyn. Il passera le reste du voyage à la soutenir de loin, sans intervenir directement. Leurs relations s'améliorent avec le temps. Une romance finit même par se nouer entre-eux, même si elle restera temporaire (et très peu exploitée dans le film). C'est toujours un plaisir d'avoir Adam Driver dans un rôle où ses relations amoureuses se passent bien, surtout après le traumatisme que fut l'Épisode IX.

 

Le bisou !

 

Le personnage de Rick a par ailleurs fait l’objet d’un certain soin par rapport au scénario initial. Comme l’explique le réalisateur John Curran dans le making-of, le script ne savait que faire de ce photographe qui s’incruste durant les pérégrinations de Robyn avant que leur relation ne se fasse plus intime. Comme la jeune femme avait accepté contre son gré de rédiger un article pour le National Geographic et la présence d’un photographe pour l’illustrer, elle imposa Rick Smolan, car elle l’avait déjà rencontré une première fois. Le film s’inspire donc autant du texte de Robyn Davidson pour la narration que des photos de Rick Smolan pour la mise en scène. Certains plans du film sont même strictement identiques aux photos prises par Smolan. Les décors y gagnent ainsi en profondeur et en réalisme tout en gardant une approche très artistique. À la manière de ce que faisait Charles Ferdinand Ramuz dans sa Grande peur dans la montagne, le désert prend forme et devient son propre personnage. Toutefois, la ressemble s'arrête ici : Ramuz dépeignait un alpage effrayant, un paysage montagnard rendant les hommes fous et incapables de le dompter, faisant écho aux nombreux drames s'étant déroulés depuis des siècles, là où Tracks permet à son personnage principal de s'en sortir. Mais c’est surtout, toujours selon John Curran, l’improvisation d’Adam Driver, à qui il laissa carte blanche, qui apporta énormément de spontanéité et d’envergure au personnage du photographe. Tracks est également le premier film dans lequel Adam Driver obtient le premier rôle masculin, alors qu’il n’avait fait jusqu’à présent que de brèves apparitions au cinéma.

 

Allez une petite dernière pour la route

 

Pour mieux comprendre cette expédition, n’ayant pas encore pu lire son livre ou l’article publié dans le National Geographic, le making-of disponible sur le DVD m’a été fort utile. Ce documentaire laisse la parole au réalisateur John Curran, un habitué des films naturalistes, aux acteurs principaux Mia Wasikowska et Adam Driver, et aux protagonistes de cette aventure véridique, Robyn Davidson et Rick Smolan. Riche en anecdotes et en explications – tant sur l’expédition de Robyn que sur la réalisation du film – il apporte un regard très personnel sur les motivations de chacun et leurs points de vue sur cette aventure.

 

**Un grand merci à ViCK pour m'avoir aidé à réaliser ces nouvelles captures**

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26 décembre 2023

L'anti Star-Wars VII - Retour sur ''Paterson'' (2016)

**Cette critique est une mise à jour de celle que j'avais rédigée en mai 2023 pour le groupe Facebook Le coin cinéphile.**
 

Paterson vit à Paterson dans un film inspiré du recueil Paterson...

 
Paterson est un film du réalisateur américain Jim Jarmush, projeté au festival de Cannes en mai 2016 puis sorti dans les salles françaises en décembre de la même année. Soit un an après le nouvel épisode d'une certaine franchise de science-fiction. Dans Paterson pourtant, nulle créature extraterrestre, nul vaisseau spatial, nul récit épique autour de la Force et la lutte entre le Bien et le Mal. Donc pourquoi ce parallèle ? En vérité, une simple pique de ma part. Oui, le film de Jarmush n'a pas grand-chose à voir avec un blockbuster spatial. Si l'on excepte qu'Adam Driver interprète le rôle principal. À l’époque, l’acteur venait de se faire (malheureusement) connaître du grand public dans la dernière trilogie Star Wars et ce rôle lui colle toujours à la peau. Lorsque j'ai écrit la première version de cette chronique, j’avais surtout eu envie de défendre la diversité de cet acteur, trop souvent réduit au rôle de Kylo Ren qu’il interprétait dans la franchise en question. Vous savez, le genre de discussions ou de commentaires sur Internet dans lesquels un acteur est réduit à sa seule prestation sur un blockbuster ou un film à licence, parce qu'une majorité de ces internautes sont avant tout des amateurs de films popcorn ou parce que la filmographie antérieure dudit acteur est encore trop obscure. Paterson consistait alors une excellente antinomie : un film indépendant face à un blockbuster, sans déballage d’effets spéciaux ou de grandes scènes d’action. Mais au-delà de ce contre-exemple, par ailleurs toujours efficace, c’est aussi un long-métrage très attachant.
 

 

Adam Driver passe sans problème le cap de leader suprême d'un Empire intergalactique à simple chauffeur de bus

 

Le film de Jarmush se veut un très bel hommage au poète américain William Carlos William et notamment à son recueil intitulé ''Paterson''. Dans cet ouvrage, William, qui a vécu à Paterson en tant que médecin, personnifiait cette ville du New Jersey, ancienne cité ouvrière depuis tombée en décrépitude et minée par la criminalité. Ici, Jarmush fait un peu la même chose : comme William, il donne une identité humaine à la ville sous les traits de Paterson (son prénom est inconnu), un jeune chauffeur de bus, interprété donc par Adam Driver, au quotidien banal, tranquille et répétitif, qui vit… à Paterson entouré de son épouse Laura (Golshifteh Farahani) et de leur chien bouledogue Marvin. L’histoire nous propose de suivre notre protagoniste durant toute une semaine, jour après jour, comme un journal intime mais en supprimant la narration qu'il impliquerait. 

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La ville de Paterson est une ancienne cité industrielle tombée en décrépitude, un univers urbain délabré et marginalisé, mais grouillant de vie et de personnages hauts en couleur. À côté, le protagoniste mène une vie réglée, simple et très banale. Paterson n’a pas vraiment de loisirs à côté de son métier, sinon promener Marvin, se rendre dans le même bar chaque soir durant la promenade et surtout écrire des poèmes dans un carnet. Durant toute une semaine, on le suit au gré de ses allers-et-venues, son travail, les conversations des passages du bus qu’il aime suivre discrètement, ses promenades ou encore ses soirées dans le bar du coin. Il n'a pas vraiment d'amis en dehors de Doc, le patron du bar (Barry Shabaka Henley), et semble plutôt bien s'entendre avec Donny (Rizwan Manji), le responsable du dépôt.
 
 
Le quotidien banal et intimiste de Paterson : une épouse, une maison, un chien

 

Son couple semble heureux, complice, sans nuages, il évoque avec Laura le futur concours de cupcakes auquel elle tient à participer ou la possibilité d’avoir un jour des enfants. Pourtant, en dehors de son quotidien banal, Paterson est un homme surprenant : jeune mais pas intéressé par la technologie, aimant la poésie et nanti d’une certaine culture littéraire, alors que – comme le rappelle une fillette avec qui il discute – il n’est qu’un ”simple chauffeur de bus”. Il préfère la solitude, mais ne dénigre pas les conversations avec d’autres citadins ou d’éventuelles rencontres. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire d’une rencontre qui le marquera qu’il décide, après une déception vécue, de reprendre goût à l’écriture. Peut-être le seul rapprochement que l’on puisse faire entre Paterson et Kylo Ren, puisque ce dernier évoluait également après une certaine rencontre (les vrais savent de qui je parle ^^).
 

 

Paterson vit à Paterson dans un film inspiré du recueil Paterson...

 

 
Certes il ne s’y passe pas grand-chose. Le film est avant tout porté par son ambiance automnale (la photographie est particulièrement réussie) et la douceur qui transparaît dans la relation entre Paterson et Laura. Bien sûr, j'aurais pu développer davantage sur la réalisation de Jarmush et cette impression que l'absurde s'invite dans cette ville pourtant très réaliste. Mais je connais encore mal sa filmographie et au fond, je ne trouve pas cette intellectualisation du film particulièrement intéressante. C'est plutôt sa simplicité qui rend Paterson attachant et la raison principale pour laquelle il a fini par devenir l'un de mes films favoris. Adam Driver est totalement à l’aise dans ce type de personnage ”Monsieur Toulemonde à l’américaine” et s'il ne s'agit pas - à mon sens - de sa meilleure prestation, c'est l'un des rôles les plus intéressants. Il le prouvera d’ailleurs à nouveau dans Marriage Story trois ans plus tard, un autre film que j’aimerais traiter tout prochainement. Oubliez donc son apparition dans un certain blockbuster, sa carrière vaut largement mieux. Et Paterson en est un excellent exemple. 
 

 

 

PS : Un petit conseil d'amie : privilégiez la VO si vous le pouvez, le doublage français a été confié à Messire Hervé Icovic et sans être une abomination, le résultat ne fait clairement pas honneur aux acteurs. Le meilleur point : feu Jean-Michel Martial, juste extra sur Doc. Le point faible : Félicien Juttner ne vaut pas Valentin Merlet.

26 décembre 2023

Immortalité, provocation et joyeuse gaudriole – Lupin III : Le Secret de Mamo (1978)

**Cette chronique est une réécriture d'une analyse écrite en juin 2010 mais restée jusqu'alors inédite et incomplète**

 

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**CETTE CHRONIQUE PEUT CONTENIR PLUSIEURS SPOILS POUR CEUX N'AYANT JAMAIS VU LE FILM**

 

D’étranges lignes blanches apparaissent à l’écran. Un homme marche vers ce qui sera son lit de mort : une potence. C’est ainsi que sont exécutés les criminels au Japon ; il en était de même en France avant qu’un certain M. Guillot n’invente l’arme moderne des bourreaux : la guillotine. L’homme marche vers son destin, vers ses dernières secondes. Il parvient à la dernière marche, est entraîné par une trappe et finit pendu. L’homme est passé dans l’au-delà.

Une voix se fait brusquement entendre alors qu’un texte en japonais apparaît à l’écran : le détective Ed Scott (ou l'inspecteur Zenigata selon les versions) traduit littéralement le message à l’attention des spectateurs occidentaux. Il annonce la mort de Lupin le Troisième, autopsié après son exécution. Mais la méfiance demeure chez le détective : il faut qu’il voie le cadavre. «Je suis un détective et je suis méfiant. Je ne crois que ce que je vois !» annonce ce dernier avant de partir pour le château de Dracula en Roumanie, la dernière demeure du petit-fils d’Arsène Lupin.

 

Je vous parle d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent connaître…

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Nous sommes en février 1981. Goldorak, Candy et Albator triomphent alors sur les petits écrans français.

 

Parents et éducateurs fustigent ces œuvres japonaises incomprises, leur reprochant une violence surestimée. On les accuse d’envahir la culture française via le petit écran et de traumatiser les gosses. Les premiers ouvrages contre ces séries, eux, se chargent d’envahir les librairies.

A 5 ans

À cinq ans, seul avec Goldorak : premier livre fustigeant les séries japonaises où l’auteur accuse la série d’être à l’origine de cauchemars chez les enfants ayant vu le dessin-animé. Une accusation basée sur des arguments controversés et qui fait encore débat de nos jours.

 

Alors que les polémiques pleuvent sur les dessins-animés diffusés à la télévision, un long-métrage animé – japonais également – fait une timide apparition sur le grand-écran. Lupin III, c’est son titre, débarque le 25 février 1981 au pays natal de son grand-père, le gentleman-cambrioleur Arsène Lupin crée soixante-dix ans auparavant par l’écrivain Maurice Leblanc.

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Alors que le Lupin de l’auteur français est un véritable gentleman qui méprise la violence, le Lupin japonais est arrogant, querelleur, avide de femmes et de sexe et souvent peu lucide. Anti-héros par excellence, Lupin III hante discrètement la France de 1981 par l’intermédiaire de ce film anticonformiste pour adultes. L’accueil restant glacial à une époque où le dessin-animé pour adultes est ignoré, cette caricature d’Arsène Lupin ne réapparaîtra qu’en 2005 dans une version française très différente de la version eighties mais aussi plus fidèle à la VO.

Ce premier film demeure la bête noire des amateurs du Château de Cagliostro, à l’exception bien sûr des fans ayant apprécié les deux films. Le magazine Animeland, spécialisé dans l’animation japonaise, le qualifie de film plaisant «bénéficiant d’un scénario rythmé et d’une réalisation correcte, même si nous sommes loin du Château de Cagliostro pourtant sorti une année après» (Animeland n°121 du mois de janvier 2006). Dans un article sur le site officiel du même magazine, écrit par Diane Superbie en septembre 2002, la critique est largement plus développée, insistant sur les thèmes philosophiques qu’aborde le film et son côté très fidèle à l’humour satirique du manga.

Curieusement, malgré le ton cru du film, son aspect adulte et anarchiste semble peu intéresser les éditeurs, et les critiques (exception pour la critique de Diane Superbie) soulignent davantage la qualité d'animation du film, toujours en comparant à celle du Château de Cagliostro. Premier point étonnant, aucune limite d’âge (ou de précision sur le contenu du film) n’est signalé sur la jaquette VHS ou DVD. Lupin III serait-il un film que l’on peut facilement montrer à son neveu de six ans malgré Fujiko nue et quelques scènes grivoises ? Second point : les éditeurs ont pratiquement toujours insisté sur l’action du film pour attirer le public. Malheureusement pour les amateurs de flingues et d’action james-bondienne, il serait préférable qu’ils passent leur chemin : l’action est certes présente, mais ne s’éternise pas. Le Secret de Mamo est surtout un condensé de tous les ingrédients et thèmes d’un film de fiction pour adultes avant tout masculins.

 

Mais de quoi parle exactement ce premier film ? Eh bien, commençons par résumer l’histoire…

Lupin III serait mort ! Une situation que son ennemi juré, l’inspecteur Zenigata, se refuse d’accepter. En pleine nuit orageuse, le policier se rend au château de Dracula pour en finir avec le cambrioleur et enfonce un pieu dans le corps du voleur. La seconde d’après, le corps explose et dévoile un Lupin plus que vivant qui nargue l’inspecteur et s’enfuit sans demander son reste. Par la suite, Zenigata apprend que Lupin — en compagnie de son meilleur ami, Jigen — fait des recherches sur une mystérieuse pierre égyptienne considérée comme la pierre philosophale donnant vie et jeunesse éternelles à celui qui la possède. Une pierre que Lupin convoite bien entendu pour les beaux yeux de la redoutable Fujiko, mais malheureusement, à peine Lupin a-t-il la pierre en mains que la belle tente de la lui reprendre pour la refiler à son complice, Howard Lockewood, dit Mamo. C’est un scientifique qui rivalise avec les grands de ce monde, dit avoir atteint la vie éternelle et surtout remet en cause l’identité de Lupin… Le cambrioleur serait-il donc vraiment mort ?

Lupin III – Les Clones de Mamo entre dans la catégorie du film de science-fiction. Le scénario tourne principalement autour du clonage, ses bienfaits et ses conséquences tant scientifiques qu’éthiques : un thème relativement novateur en 1978. On comprend d’ailleurs mieux pourquoi Lupin est obligé d’expliquer à ses comparses la théorie du clonage, en bon diplômé de l’Académie des Sciences qu’il doit être. Mais si cette scène reste relativement sérieuse, il n’en est rien du film en soi. Imaginez-vous devant un film au scénario relativement sombre mais dont les personnages seraient des pantins caricaturés. Ou encore mieux, imaginez-vous devant une tragédie qui aurait des allures de farce moderne ou de Grand-Guignol. Lupin III, c’est un peu tout ça : un postulat de base sombre, pré-apocalyptique, aux personnages qui ont l’air très unis mais qui peuvent se séparer à tout moment pour des raisons personnelles, mais un postulat de base qui très vite ne peut être réellement pris au sérieux, du moins pas à partir de l’apparition de Lupin. Le spectateur qui voit pour la première fois un Lupin risque de se demander qui est cet abruti qui se moque d’un inspecteur de police censé représenter la Loi.

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Ne vous y méprenez pas, c'est bien le petit-fils du gentleman-cambrioleur...

L’apparition de Lupin III, le vrai Lupin III, est explosive et les raisons sont dues à l’inspecteur de police Zenigata qui a autant l’air de représenter la Loi que le Père Ubu représentant la charmante bourgeoisie lettrée et bienfaitrice.

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La mise à mort d'un cambrioleur version Koichi Zenigata

Cette scène passerait très mal pour ceux qui, connaissant la seconde série TV, croient que Zenigata est très attaché à Lupin et ne lèverai jamais la main sur lui. Bien au contraire, l’inspecteur est ici brutal, féroce et capable de tout pour en finir avec son ennemi juré. Lupin mort ? Tant mieux ! doit-il se dire. Son principal objectif n’est pas de pourchasser inlassablement son adversaire, mais bien d’en venir à bout. Brutal et ambitieux, Zenigata est également ici très égoïste : au lieu de prévenir Interpol de la possible survie de Lupin, il s’apprête à le tuer de sa propre main. L’inspecteur tient dans sa main un pieu en bois, d’où l’ironie d’ailleurs vu que Lupin porte à cet instant le costume de Dracula et «dort» dans un cercueil. Et comme tout le monde le sait, les vampires sont immortels… tant que personne ne vient leur planter un pieu dans le corps. «Alors tu croyais obtenir la vie éternelle en jouant les vampires ?!» hurle l’inspecteur avant de lui annoncer que ce ne sera plus le cas et de lui planter son pieu en plein cœur.

Explosion du corps, comme s’il s’agissait d’une baudruche et déjà Lupin apparaît derrière l’inspecteur, cette fois bien vivant. Se souvient-il seulement d’avoir été mort ? Visiblement non. S’engage alors une course poursuite entre les deux ennemis, malheureusement interrompue par l’envol de Lupin sur un delta-plane aux ailes de chauve-souris. Comme quoi, Lupin restera Dracula tant qu’il n’aura pas quitté le château…

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Dépité d’avoir raté sa tentative de meurtre mais ravi d’avoir à nouveau à poursuivre Lupin, telle une obsession, Zenigata ne se laisse pas abattre. Si ce n’est pas dans ce château qu’il en finira avec Lupin, ce sera ailleurs, même dans les Enfers. 

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«Je te poursuivrai jusqu'en Enfer. Là-bas, je graverai mon nom sur chacun de tes os pourris !» 

Une réplique crue et violente, certes, mais au fond tout à fait logique pour un homme qui n’a de cesse de poursuivre son ennemi depuis de nombreuses années. Un geste, deux répliques françaises, et déjà les traducteurs ne sont pas d’accord entre eux. En 1980, l’adaptateur fit dire à Zenigata (alias Ed Scott) qu’il gravera son propre nom sur les os pourris de Lupin. Cette réplique est une traduction assez juste de la réplique d’origine. Il en est de même dans la version américaine de 1979 (généralement connue sous le nom de JAL dub) : «I follow you down the Hell and I will carve my name on all your stupid bones !». Le traducteur du doublage français d’IDP datant de 2005 a pas mal atténué la citation de l’inspecteur et lui fait simplement dire : «Je te poursuivrai jusqu’en Enfer et je t’y ferai subir les pires tortures !». A-t-il jugé la réplique originale trop violente ? Trop crue ? Le mystère demeure…

 

Nous retrouvons ce cher inspecteur en Égypte. Lupin s’est remis au boulot et ses exploits ont déjà causé des dégâts vu que deux pièces de collection ont disparu des musées. Mais que cherche-t-il exactement dans la tombe du pharaon ? Une pierre cachée sous un sarcophage, voilà le but de sa visite.

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Lupin et son pote Jigen découvrent la pierre dans le tombeau du Pharaon...

Gardez encore un peu votre patience, ce n’est pas ici que vous apprendrez le rôle de cette pierre dans l’histoire ni pourquoi Lupin tient absolument à la trouver. En effet, l’installation qui lui avait permis d’outrepasser le système de sécurité de la pyramide, particulièrement efficace et visiblement installé par la police égyptienne qui collabore avec Zenigata à l’extérieur, s’effondre déclenchant le système d’alarme. Lupin et Jigen, son comparse et ami, sont obligés de fuir. Ils ont déniché (par pur hasard) une moto, à moins qu’ils l’aient emmené avec eux en cas de fuite obligée, mais au fond qu’importe ! Nous sommes dans du Grand-Guignol, non pas dans un film hyperréaliste.

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Goemon, un samouraï également complice de Lupin, vient leur apporter son aide et tous les trois fuient l’Egypte en ricanant, pendant qu’au loin, Zenigata hurle de rage. Comme quoi dans ce milieu des cambrioleurs, même la police ne peut arrêter leurs activités…

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C’est maintenant, scène suivante, qu’un nouveau personnage ou plutôt deux nouveaux personnages vont faire leur apparition. Le premier n’est autre que la supposée petite amie de notre cambrioleur, une jeune femme qui semble éprouver un malin plaisir à abuser de la confiance de son amant, uniquement pour toucher le plus de sous. Le second personnage doit être l’ennemi principal du film ou tout du moins celui qui s’intéresse également à cette mystérieuse pierre. Dans une ambiance très conte de fée, la jeune femme se réveille et promet à son employeur, dont elle ignore le nom, de terminer le boulot.

Cette scène fait entrer le film dans un univers adulte très seventies. Pour un peu, on se croirait dans l’univers sexy de Barbarella.

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Il y a un étrange sentiment qui envahit le spectateur (homme ou femme) à la vision de cette scène tant érotique et romantique que cauchemardesque. Un peu la même sensation que l’on ressent en visionnant la célèbre scène de la douche dans Psychose d’Alfred Hitchcock. On remarque que quelqu’un d’autre est présent dans la pièce, mais on ignore comment il réussit à s’exprimer avec Fujiko. La fin n’aboutit heureusement pas sur la mort de la jeune femme, car Fujiko n’a pas froid aux yeux. C’est elle qui attaque son adversaire en lui envoyant violemment le pommeau de douche dans le miroir où se dissimulait une caméra.

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Néanmoins, Fujiko reste Fujiko pour qui connaît cette charmante personne : le boulot avant tout. Peu importe le client, pourvu qu’elle puisse obtenir beauté et richesse. C’est pour cette raison qu’elle continue de collaborer avec ce «voyeur» et qu’elle part retrouver Lupin.

 

Arrivée sur place, elle tombe directement sur Lupin vêtu d’un smoking blanc qui le ridiculise davantage et tenant une rose en main. Aucun doute, la scène n’a absolument rien de romantique : le gentleman n'est pas particulièrement à son avantage, se comporte maladroitement et la jeune femme se fiche des efforts de son amant.

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Véritable parodie de la scène romantique-type (avec accordéons pour renforcer l’ambiance parisienne), cette séquence est également connue pour proposer des dialogues très différents entre les doublages. Le premier doublage américain est assez fidèle au dialogue original, sauf au moment où Fujiko juge le côté élégant du smoking de Lupin. Elle trouve Lupin particulièrement beau (You look very nice, dixit Fujiko dans le JAL dub) ce soir. Un mot à caractère ironique ? Le second doublage américain (1995) insiste sur la ressemblance entre Fujiko et la rose. D’autres doublages au contraire (dont les versions françaises) insistent sur le côté ridicule de Lupin. Le doublage anglais (1996), considéré comme l’un des plus mauvais doublages anglophones sur Lupin III (ce que je confirme), va même jusqu’à donner un accent français au cambrioleur.

Romance

Malheureusement pour lui, la fiancée se débarrasse de son amant une fois qu’elle est en possession de l’objet qu’elle convoite et abandonne ce dernier, momentanément paralysé et furieux de s’être encore une fois fait avoir.

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Les remarques de ses partenaires, Jigen Daisuke (sorte de cowboy New Age avec un look de gangster des années 30) et Ishikawa Goemon (resté fidèle aux traditions de ses ancêtres samouraï), ne se font pas attendre. Ces derniers lui conseillent de ne plus jouer les play-boys et surtout de ne pas mélanger femmes et boulot.

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Le play-boy se défend… à sa manière. «Arrêtez de me donner des complexes, les mecs ! C’est un coup monté par moi !» prétend-t-il maladroitement pour se donner bonne conscience. Non sans mal d’ailleurs, car une seconde après, son comparse Jigen démontera facilement son excuse. Lupin n’aime pas qu’on lui fasse des reproches, mais il a également du mal à trouver des excuses valables pour conserver sa fierté…

 

Première apparition du méchant... dans un cimetière. Un univers plutôt inattendu (et en même temps plutôt bien vu si le but du réalisateur était de jouer sur l’ironie de la situation) pour un individu à la recherche de la vie éternelle. Remarquez l’étonnante habileté de ce réalisateur pour mixer ambiance glaçante de film fantastique (ou d’horreur, à vous de choisir), film d’espionnage... et humour caricatural dans une seule séquence ! Tout l’esprit-même de ce film se retrouve déjà dans cette séquence. 

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 Retour à Paris donc... Lupin, Jigen et Goemon – entre deux leçons tournant autour de la pierre philosophale et de la vie éternelle (dont les deux compères n’ont strictement rien à foutre) dégustent du vin rouge à une terrasse parisienne typique dans une capitale française reconstituée à partir de clichés grossiers bien qu'amusants (vin rouge, terrasses, musique avec accordéon) et de drapeaux jamais vraiment fidèles à l'étendard républicain... Sert-elle de décor conventionnel pour la scène suivante, de simple coïncidence ? Ou le réalisateur a-t-il une nouvelle fois en projet de contourner un stéréotype pour mieux tourner en dérision la situation ? En effet, à la séquence ultérieure, le Paris romantique devient le Paris du cauchemar... Fusillades directement sur les passants, course-poursuite effrénée à travers la capitale, nombreux morts : nous sommes loin de la capitale des amoureux !

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Profitons de ce passage pour s’attarder sur les courses-poursuites du film... Lupin III a souvent misé sur les scènes d’action en automobile, que ce soit lors de rallyes ou pour échapper à des ennemis (voire à la police). L’une des scènes fréquemment rencontrées dans ses aventures reprend le schéma classique du gendarme contre les voleurs, ici représenté par Zenigata contre la bande à Lupin. Nous ne sommes pas loin du principe de Tom & Jerry, les héros bien connus du studio Hannah & Barbera.

Le film est l’un des rares de la franchises à proposer autant de clins d’œil à d’autres œuvres (tant littéraires que cinématographiques). Ici, la seconde partie de la course-poursuite voit apparaître un hommage explicite au premier film du réalisateur américain Steven Spielberg, Duel, datant de 1973.

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Le schéma est identique : camion ennemi (dont on ne voit pas le chauffeur) poursuivant nos héros dans le seul but de leur rentrer dedans. S’ensuit une course-poursuite à travers routes désertiques et paysage de western (qui conduit à une incohérence flagrante dans Lupin III vu que nos héros sont censés se trouver à environ une heure de route de Paris !) Même la scène finale est identique !

 

Que s’est-il passé en leur absence ? Pourquoi leurs ennemis s’acharnent-ils à en finir avec eux ? À cause de la pierre ? Une chose est sûre : ils sont dangereux et prêts à tout. C’est sur ces premières réflexions que le spectateur assistera à la première dispute entre Lupin et ses amis. Un élément assez cru vient s’ajouter à l’ambiance déjà osée du film : la misogynie des amis de Lupin. En bon amateur de femmes qu’il est, ce dernier ne peut se permettre de voir la femme comme une créature perverse, à l’exemple de Fujiko. Ce n’est pas le cas chez ses deux comparses…

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Les critiques misogynes sur Fujiko pleuvent, Lupin peine à la défendre. Ses arguments sont peu crédibles, à l’image de celle qu’il avait avancée auparavant pour justifier son échec face à Fujiko lorsque cette dernière l’a délesté de la pierre égyptienne.

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Jigen et Goemon, les deux amis de Lupin, ne sont pas dupes et vont même jusqu’à se disputer au sujet du comportement «obscène et puéril» de Lupin. Jigen est d’ailleurs souvent qualifié de véritable chef de la bande, étant plus sérieux et plus mature que les autres même si les hypothèses sur son âge demeurent de pures suppositions. Ici, Goemon (qui est le plus jeune de tous) lui reproche de ne pas savoir «éduquer» correctement Lupin, comme si ce dernier était encore un petit garçon qui a tout à apprendre.

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La marche à travers le désert pour rejoindre l’Atlantique débute. Inutile de se demander de quel désert il s’agit, nous sommes après tout dans du Grand-Guignol. Nul besoin d’y chercher un quelconque signe de rationalité dans cette farce anticonformiste : c'est pour ça aussi qu'on aime le film.

L’épisode du mirage réaliste est particulièrement intéressant. Vous avez certainement vu de nombreuses fois le héros s’égarer dans le désert et trouver à la toute dernière seconde une oasis. À moins que ce ne soit un mirage et que le cauchemar recommence… Ce type de scène devenu cliché au cinéma, parfois exploité de façon comique comme nous le montre régulièrement les Dupond-Dupont dans Tintin, est ici détourné et transformé en cruche d’eau explosive.

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Il est difficile d’y voir un simple gag tant le côté dramatique de la scène nous empêche de ne pas nous attacher au destin des trois cambrioleurs. Même si Lupin réussit encore à adopter un faciès comique, la scène en soit est plus de l’ordre du drame. L’ambiance musicale du film, du Yuji Ohno en grande forme, y participe largement.

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Finalement, après une longue marche désespérée, ils parviennent à une cabane miraculeusement épargnée des pillages. Un miracle ? Un bienfait du ciel ? C’est ainsi que Goemon remercie le bienfaiteur qui pourrait être à l’origine de cette découverte de dernière minute qui les sauve de la mort. Si en soit la scène n’est pas particulièrement intéressante pour la suite, un détail pourtant insignifiant au premier abord s’en dégage : l’une des rares fois où le taciturne Jigen perd son sérieux pour devenir aussi agité que Lupin.

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 «LUPIN !» : c’est sur cette voix renvoyée par l’écho que la bande oublie, un instant, nourriture et boisson pour retourner vers l’immensité désertique. Le ton désespéré de Fujiko, selon ses propres mots bien entendu, a été fouettée par un sadique, n’a pas toujours conservé ce côté écho de la version 

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Le supplice de Fujiko, l’une des scènes les plus brutales du film

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 La réaction de Lupin ne se fait pas attendre… mais de manière étonnante ! «Quel veinard ! Pourquoi c’est toujours les autres qui en profitent ?» s’exclame-t-il (tout en se demandant à quoi peut bien ressembler une Fujiko entièrement dénudée ?). Lupin est terriblement jaloux, mais dans une situation qui ne s’y prête pas vraiment… Sa compagne ne vient-elle pas de se faire sauvagement fouetter (prétend-t-elle) ? Comprenant la détresse ( ?) de Fujiko, Lupin change quelque peu d’objectif et console enfin Fujiko… à sa manière ! Difficile de ne pas savoir ce qui se cache derrière ce sourire plus qu’inquiétant !

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Malheureusement pour les amateurs de films romantiques, les scènes de «tendresse» ne durent jamais très longtemps dans ce Lupin III… Déjà, ses amis le ramènent à la réalité, telle une alarme d’urgence en cas d’incendie ou de catastrophe naturelle.

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Une violente dispute éclate entre les trois hommes à cause de Fujiko… Une dispute qui tourne une nouvelle fois à la misogynie contre la femme en soi (Jigen parle d’elle comme d’une «créature») ou plus exactement du genre de femme qu’incarne Fujiko et qui leur nuit tant. Goemon le samouraï se refuse de poursuivre sa route avec un homme aussi obsédé et naïf que Lupin. Il quitte les lieux… Jigen essaye de raisonner son camarade pour qu’il cesse de défendre Fujiko, mais ce dernier n’en fait rien. Nous voyons ici comment Lupin minimise les actes de sa dulcinée pour la garder auprès d’elle ! À bout de nerfs, Jigen empoigne son partenaire et manque de le frapper. Remarquons à quel point la personnalité de Jigen est très différente de celle qu’on a l’habitude de rencontrer dans les adaptations animées du personnage. En général, le personnage est présenté comme un comparse de Lupin qui certes s’énerve contre Fujiko, mais n’irait pas jusqu’à frapper le cambrioleur. Il agit ainsi de très rares fois dans la série Tv 2 (Episode 66) non parce que Lupin s’est une nouvelle fois fait berner par Fujiko, mais parce qu’il se met volontairement en danger de mort. Or ici, Jigen n’hésite pas à empoigner son ami uniquement parce qu’il déteste sa naïveté vis-à-vis de Fujiko ! Puis, dépité, il décide de quitter les lieux sans se retourner sous les remarques virulentes de Lupin qui lui propose de devenir moine puisqu’il déteste tant les femmes...

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Bref, après cette scène de rupture amicale et professionnelle, Lupin et Fujiko se retrouvent «seuls tous les deux depuis bien longtemps»... Fujiko espérerait-elle un tête-à-tête romantique pour cette nuit ? Hélas, Lupin n’est pas dans son meilleur jour ! Il boude, se met en colère pour un rien, accuse Fujiko d’être responsable de la dispute qui a éclaté entre lui et ses comparses ! Fujiko déprime... «Ce que tu peux être méchant !» s’écrie-t-elle. Sa remarque semble apaiser Lupin... mais plus pour longtemps. Après une déclaration d’amour hautement crédible (digne des pires films d’amour), il tente de l’embrasser à sa manière ! Elle le repousse violemment... Humilié, Lupin retourne à ses réflexions anti-Fujiko en se plaignant de ne pas être Alain Delon. 

Quelques instants plus tard, Lupin le pseudo-romantique se transforme en agresseur du soir ! Il défonce violemment à coups de hache la porte le séparant de sa dulcinée et saute littéralement de ses vêtements pour «plonger» en Fujiko... Mais elle l’évite de justesse. Ce dernier s’écroule au sol, endormi par un puissant narcotique administré par la belle. Fujiko n’est pas femme à se laisser faire !

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Le grand plongeon...

 

Lupin est enlevé par Flinch, le bras-droit du mystérieux Mamo et comparse de Fujiko... Jigen a juste le temps de voir son partenaire se faire kidnapper sous ses yeux avant qu’un morceau de papier ne lui soit envoyé du ciel (par les bonnes grâces de Fujiko ?). Direction Madrid où nous retrouvons notre cow-boy solitaire occupé à vadrouiller dans les rues de la ville. Après un imbroglio avec des Américains issus des Services Secrets, dont un certain Starkey/Stackey (renommé Henry Gessinger dans la 1ère VF, parodie évidente du célèbre diplomate) et Gordon, son bras droit. À partir de ce moment-là, le film se recentre sur l'identité secrète du fameux ''Mamo'', dont l'apparence reste toujours secrète. Le film, qui jusqu'alors avait une direction plutôt SF, plonge alors en plein thriller politique, même si cet aspect ne dure pas non plus. Mais Lupin III ayant toujours eu, dans les adaptations animées du moins, fait allusion aux actualités de l'époque, ce basculement n'est guère étonnant.

Durant ce passage, Jigen y fait presque figure de protagoniste. C'est lui qui prend les devants face aux Américains, qui dévoile un peu de sa personne avec classe et détermination. Jigen a parfois même été soupçonné d'être réellement d'origine américaine, de par son look, son attitude moins traditionnaliste que Goemon ou encore certains flashbacks qui laissaient entendre qu'il avait passé une partie de sa jeuness en Europe. Dans ce film, il est pourtant clair : il admire juste la culture américaine, en particulier Humphrey Bogart et Maryline Monroe, mais lorsqu'il découvre les véritables motivations des Services Secrets américains, il se rebiffe. Refuse de se plier à leurs exigences. Bref, Jigen. Avec classe.

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La suite du film nous ramène à la situation de Lupin, maintenu littéralement en cage dont il parvient à en réchapper par la ruse. Une fois libre comme l'air, il découvre alors l'étrange environnement dans lequel il a été ramené après son enlèvement. Le film bascule alors dans une ambiance fantasmagorique et délicieusement absurde. Des décors donnant vie à des peintures célèbres tel Mystère et mélancolie d'une rue de Giorgio De Chirico ou encore Métamorphose de Narcisse de Salvador Dali, voire des parodies comme La Maison aux escaliers de Maurits Cornelis Escher. L'ambiance se fait même plus qu'inquiétante lorsque Lupin se retrouve face à un Napoléon Bonaparte puis un Adolf Hitler bien vivants ! 

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On pourrait critiquer ces ''hommages'' n'amenant pour le moment rien à l'intrigue, comme une excuse de poursuivre le ''délire'' autour de ces folles aventures de Lupin. Au contraire, le scénario sait très bien où il va. Patience, nous saurons bientôt le fin mot de l'histoire !

Une douce mélodie attire alors l'attention de notre cambrioleur. Un inconnu joue de la harpe en haut d'un escalier. Mamo se dévoile enfin : un étrange personnage à l'apparence difforme et trapue. Je n'ai jamais pu trouver la confirmation parmi les différents livres sortis en japonais si le personnage avait tiré son inspiration du Swan interprété par Paul Williams dans Phantom of the Paradise. Bref ça reste un mystère. Mais j'aime bien me dire qu'il y a tout de même eu une certaine influence. D'ailleurs, c'est cette hypothèse qui m'a donné envie de voir le film de Brian de Palma (tout comme la scène du camion m'a donné envie de voir Duel). 

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Malgré son apparence grotesque, Mamo est sans doute l'un des adversaires les plus dangereux que Lupin ait eu à affronter dans toute sa carrière animée. Physiquement il ne paie certes pas de mine, mais son intelligence est redoutable. Mamo, ou Howard Lockewood comme il se fait appeler à l'état civil (est-ce son vrai nom ou un pseudonyme ? Nous n'en saurons rien), est l'archétype du savant fou, mais pas si dérangé qu'il ne le paraît. Son projet de devenir immortel paraît invraisemblable, déraisonné, pourtant il donne des arguments assez intéressants. Et sa méthode pour parvenir à ses fins est des plus modernes : le clonage n'est, en 1978, qu'un processus encore en cours d'expérimentation, presque de la science-fiction. Pour rappel, la première réussite en matière de clonage ne verra le jour qu'en 1996 avec la brebie Dolly. Mamo cherche l'immortalité par le biais d'une science certes encore balbutiante, mais avec du potentiel. Grâce à ce processus, il est même déjà parvenu à reproduire des êtres vivants ou des peintures (d'où les apparitions de Napoléon, Hitler et des tableaux cités plus haut). 

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Lupin découvre ce qui pourrait être le secret de Mamo

Mamo est intelligent, ambitieux, hautain (il se prétend Dieu en personne) amis aussi manipulateur. C'est durant une séquence plus tardive du film que son secret se lie au destin de notre cambrioleur préféré : est-il lui-même un clone ? Après tout, rappelez-vous : Lupin était censé avoir été exécuté par pendaison au début de l'histoire. Jusqu'à présent, sa survie n'avait jamais été expliquée. Mamo en profite pour semer le trouble dans son esprit : le Lupin exécuté aurait-il été un clone ? Et si, au contraire, le vrai Lupin était bien mort et celui se tenant devant lui n'était qu'un vulgaire clone ? 

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Cette révélation bouleverse profondément notre protagoniste, qui jure de prouver sa véritable identité et d'empêcher le projet de Mamo. Il n'est par ailleurs par le seul à rester marqué par cette première confrontation avec Mamo. Goemon, dans une lutte à mort contre Flinch, le sbire de Mamo, brise une partie de son sabre et décide de se retirer de la course, ne se sentant pas à la hauteur. Goemon a réagi de la sorte à plusieurs reprises durant la saga, mais rarement il fut aussi atteint dans son honneur. Sous leur apparence caricaturale et grotesque, nos protagonistes démontrent leur profondeur humaine dans ce film.

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Zenigata est plus qu'ému d'être recueilli par son supérieur après être revenu affamé et dépareillé de l'île où se retranchait Mamo. Pour autant, lui ne renonce pas à son éternel objectif : retrouver Lupin et lui passer les menottes. Peu importe s'il doit désobéir à son chef, il le fera ! Et c'est dans une superbe séquence digne d'un western spaghetti que Zenigata décide de retourner sur l'île. 

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Quant à Jigen, s'il n'est pas aussi dépité par ce premier échec, il refuse pour autant de suivre Lupin dans son périple. Il était déjà venu le sauver la première fois, il ne veut plus prendre le moindre risque. Jigen a toujours été plus responsable, plus sérieux que Lupin, mais la démonstration de puissance de Mamo - qui durant une scène provoque un véritable tremblement de terre - semble surtout l'avoir rendu fataliste. C'est plutôt rare de le voir dans cet esprit, lui qui fut si souvent cartésien. 

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Sauf que Jigen n'est pas si fataliste qu'il ne le laisse paraître, s'il a des craintes c'est avant tout pour son meilleur pote. Il lui avait déjà sauvé la vie sur l'île de Mamo, voilà que Lupin prend le risque de se jeter droit dans la gueule du loup... pour son rêve. Fujiko. Jigen s'est souvent moqué ou énervé des sentiments presque obsessionnels de Lupin pour leur rivale, ici le risque est si important que Fujiko devient une sorte de nemesis, de piège à loup sur qui planent des ressentis plus qu'ambivalents. Jamais Jigen ne s'était montré aussi cru vis-à-vis d'elle. Et pourtant Lupin décide de poursuivre son périple. Dès qu'il s'agit de Fujiko, il ne lâche pas !

Pourtant, c'est bien Jigen qui interviendra vers la fin du film, en dernier recours, alors que les bombes et autres missiles pleuvent sur eux (je n'en dirai pas plus, histoire de vous laisser tout de même découvrir cette ultime partie riche en surprises). Leur amitié de jeunesse reste aussi forte que l'amour de Lupin pour Fujiko. Comme quoi, des personnages d'animation peuvent aussi paraître profondément humains et présenter des faiblesses, des moments où ils apparaissent moins héroïques et propres sur eux. Dans Le Château de Cagliostro, cet aspect disparaîtra totalement pour laisser place à des figures davantage stéréotypées et réduites au rôle que le scénario attend d'eux. Toutefois, ce deuxième film a toujours visé un public bien plus jeune que Le Secret de Mamo, qui lui cible bel et bien un public adulte féru de pop-culture et de bizarreries.

 

À l'image d'autres films d'animation de la même époque, Le Secret de Mamo n'hésite pas à prendre des risques en matière de représentation de la violence ou de la sexualité, en montrant carrément une scène de fornication - certes symbolisée mais explicite ! Ce film a été produit alors que la deuxième série était toujours en cours de diffusion au Japon ; si celle-ci n'hésitait pas à montrer des assassinats ou des scènes d'appétance charnelle, elle n'allait pas aussi loin dans la représentation graphique et restait plutôt bonne enfant. Le Secret de Mamo s'inscrit dans une direction radicalement différente, cherchant plutôt à attirer le lectorat du manga original. Monkey Punch avait justement repris son personnage dans une nouvelle série, Shin Lupin III, dès 1977, où il appuyait davantage l'obsession de son héros pour les jolies filles. Bref, un titre à ne pas mettre entre toutes les mains ! 

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Visuellement, Le Secret de Mamo tient encore la route malgré ses 45 ans passés. Si son animation n'atteint pas les sommets, un point qui sera ensuite corrigé dans le film suivant, sa mise en scène se distingue des autres adaptations pour le cinéma. Le film n'a ainsi pas volé son surnom des ''Folles aventures de Lupin III''. Car si les péripéties de Lupin suivent une direction relativement logique, elles se retrouvent prises dans des situations abracabrantesques, des environnements psychédéliques et une approche graphique plutôt audacieuse pour un film tiré d'une franchise à succès. Mais c'est avant tout sa bande-son, composée par Yuji Ohno et ses influences acid jazz, qui donnent tout son sens à l'atmosphère absurde et pesante du long-métrage. Qu'il s'agisse d'une scène plutôt comique, d'une situation dramatique ou inquiétante, ou simplement d'une scène se voulant romantique, chaque morceau de la bande originale a son utilité, son cachet. C'est également l'un des rares albums du cambrioleur qui vale la peine d'être écouté sans pour autant avoir besoin de regarder les images : ces musiques ont une sacré personnalité. 

Cette chronique sera sans doute la plus longue que j'écrirai sur ce blog consacré à mes billets culturels. Entamée en mai 2010, il m'a fallu presque 14 ans pour en venir à bout. C'est désormais chose faite. J'aurais certes pu appuyer davantage certaines références ou comparer au manga original, mais je préfère réserver ce deuxième point pour une prochaine chronique. Je tiens d'ailleurs à noter que je ne ferai pas de chronique consacrée au Château de Cagliostro : sans détester le film, il m'a bien moins marquée que d'autres adaptations du cambrioleurs et je ne pense pas nécessaire de m'attarder sur ce film déjà longuement décrypté par d'autres internautes ou journalistes.

Vous avez sans doute remarqué l'utilisation ou la mention de nombreuses répliques que vous ne retrouvez pas dans la VF si vous possédez uniquement le DVD sorti par IDP en 2005 : ces passages sont issus de la première version française réalisée en 1980 ou 1981 pour la sortie cinéma. Longtemps restée inédite depuis l'époque de la VHS, cette première version, riche en répliques pétillantes et en vocabulaire argotique, est désormais disponible en Blu-Ray grâce au jeune éditeur naBan. Pour une plus longue analyse de ce doublage sorti en 1981, je vous invite à lire mon analyse sur le sujet écrite dix ans plus tôt pour mon blog Le grenier des doublages de dessins-animés japonais (canalblog.com)

 

À bientôt pour une nouvelle chronique ! 

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24 décembre 2023

Bienvenue sur ce nouveau projet

Il y a une dizaine d'années déjà, j'ouvrais un premier blog intitulé ''Le Grenier des doublages de dessins-animés japonais'' et donc consacré aux vieux doublages, perdus, jamais réédités ou inversement disponibles sur support physique, de l'animation japonaise. Après quelques années, j'ai dû me résoudre à le mettre en pause, suite à un manque de temps, de baisse d'intérêt et aussi car j'avais d'autres problèmes à résoudre avant tout. Entre-temps, j'ai poursuivi l'écriture de chroniques diverses sur l'animation puis depuis une année sur le cinéma live, mais uniquement sur les réseaux sociaux et un forum. Aujourd'hui, alors que ma situation personnelle s'est plus ou moins stabilisée, j'ai envie de reprendre toutes ces chroniques sur un seul site, accessible à tous et sur lequel je pourrai m'étendre davantage. Les réseaux sociaux ont leurs limites après tout. Désormais, vous retrouverez mes différents retours sur le cinéma, l'animation, la bande-dessinée et même la littérature sur ''Mes petits billets culturels'', une sorte de magazine critique en ligne qui me permettra de partager mes impressions avec des amis ou des internautes curieux. Bienvenue à vous tous et meilleurs voeux pour la nouvelle année !

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  • Avec ce blog, je regroupe pour la première fois toutes mes chroniques autour d'œuvres diverses issues du cinéma, de la bande dessinée ou de la littérature. Certaines ont ainsi déjà été publiées sur des forums, d'autres seront inédites.
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